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- Les mains de madame Sand, courtes et potelées, ressemblent à celles dun enfant
de huit ans. Les gantiers ignorent cette pointure anormale. Aussi lauteur de Mauprat
a toujours lair de porter des gants trop longs. Ces mains, douces au contact, en
dépit du hâle des champs, sont, en somme, la fraction le plus " en
dehors " de ce tout bourgeois, pour ne pas dire vulgaire. Elles
détestent linaction, tandis que le corps demeure immobile et comme obéissant à un
parti pris de roideur ; elles vont, viennent, frémissent, sagitent ;
tantôt elles rangent trentedeux jeux de cartes et font des patiences ;
tantôt, elles palpent ou retournent des plantes, des insectes et des minéraux.
- Je ne sache pas quil y ait au monde une femme plus soignée que madame Sand :
elle pousse la propreté jusquà la manie, et, chose plus rare, elle sait rester
propre. Elle fera cent lieues en chemin de fer ou dans une carriole sans que
lharmonie de sa toilette soit troublée, sans quon puisse découvrir une
tâche ou un grain de poussière dans les plis de son manteau.
- Ses toilettes indiquent un mépris absolu de la mode, une préférence marquée pour les
couleurs voyantes et une recherche incessante de la forme antique. A ce sujet, un familier
de Nohant me disait :
- Elle trouerait une serviette pour sen faire un péplum.
- Le caractère distinctif de George Sand est une insurmontable timidité. On la croit
froide, altière même ; elle nest que peureuse. Lorsquelle se départ de
sa réserve habituelle devant des visages nouveaux, elle perd la tête.
- De passage à Toulon, elle résolut un jour de visiter un navire de lEtat.
Léquipage, prévenu par ses chefs, fit un bout de toilette ; le bâtiment fut
pavoisé, les officiers endossèrent leur uniforme, et pendant que lillustre
visiteuse gravissait léchelle dabordage, le personnel du vaisseau se disposa,
suivant lusage, en fer à cheval, par ordre de grade, en sorte que le dernier mousse
un bambin de douze ans se trouvait en face du commandant du bord.
- La flatteuse solennité de cet accueil troubla madame Sand à un tel point que, en se
retirant, elle caressa la joue du capitaine en lui souhaitant une brillante carrière, et
salua cérémonieusement le mousse en le complimentant sur la bonne tenue de ses hommes et
la beauté de son navire.
- Cette difficile possession dellemême, en face du public, la pousse à vivre
retirée, avec quelques amis une poignée dartistes auxquels leur admiration
et leur fanatisme pour la châtelaine de Nohant ont valu la qualification de sandistes.
- Puisque jétudie et analyse par le menu les singularités de mon modèle, il me
faut dire que, même dans lintimité, madame Sand a toujours en elle deux êtres
dessence diverse : lauteur qui est pour tout le monde froid, peu
expansif, avare de paroles, écoutant toujours et encore ; et la femme
enjouée, adorant rire, disant de grosses bêtises, mais réfractaire aux plaisanteries du
domaine galant : léquivoque érotique la scandalise, la blesse et la
dégoûte, tandis quelle raffole de la grosse plaisanterie et de la farce triviale.
Le derrière, les seringues, les vases de nuit et tout ce quils peuvent contenir
lamusent franchement. Elle rougira si vous lui faîtes remarquer les seins
dune nourrice ; elle pouffera si vous lui signalez le développement des... bases
de la même commère. Bref, elle est chaste sans faire oublier quelle est gauloise.
- Pour ce qui est du brio et de la finesse dans la conservation, ne lui en demandez pas.
La nouvelle à la main la touche peu, le sel dune répartie lui échappe... Les
calembours seuls la dérident, et encore fautil les lui expliquer auparavant.
- Charles Marchal je parle de loin! murmura un jour devant elle, en montrant
un commensal de Nohant :
- Dieu, quil est sale... à manger.
- Sale à manger? répéta madame Sand en donnant les signes de la surprise.
- Puis tout à coup éclatant de rire :
- Ah! jy suis! Salle à manger! très drôle...
- Ce quelle répéta de fois ce piètre jeu de mots, je ne saurais le dire. Marchal
eût lancé ses plus spirituelles répliques, un de ces " mots de la
fin " qui étaient le propre de son esprit éminemment parisien, elle fût
restée froide et neût pas compris.
- En résumé, madame Sand est une femme douce, simple, excellente et bon garçon en
dehors de la littérature ; mais sur ce dernier point elle a des partis pris. En
philosophie : spiritualiste pure, prête à accepter toutes les métempsycoses
imaginables, furieusement attachée à limmortalité de lâme, se débattant
comme un démon contre la possibilité dune mort qui tuerait la pensée et
empêcherait que son âme continuât de garder, dans leur intégralité, ses affections et
ses souvenirs...
- Son toit reçut un jour un athée, elle semporta et lança dans sa réfutation une
de ces pensées nettes et grandioses dont ses livres regorgent :
- Votre athéisme, sécriatelle, explique lutilité de la
nature, mais je le défie den expliquer la beauté.
- Vous aije parlé de certains petits côtés dont la bizarrerie fait sourire? Elle
se défiera pour des riens de ceuxlà mêmes qui ont toute sa confiance pour des
choses graves. Elle confiera sa fortune à gérer et la garde de ses plus chers intérêts
à tel quelle soupçonnera très sérieusement de tricher, sil lui a gagné
trois parties de dominos consécutives. Notez quelle ne joue jamais dargent.
- Cette faiblesse provient, je suppose, de sa susceptibilité excessive... Elle ne veut
pas être dupe ou prêter à rire. La malice des autres lépouvante et,
naturellement, elle adore se moquer dautrui.
- Elle tutoie vite et naime point quon la tutoie. Dailleurs, sa personne
impose et sa bonté la rend vénérable. Nadar, qui taperait sur le ventre de Dieu le
père et tutoierait la SainteVierge, lui dit : vous. Il professe un culte
quil base sur son admirable talent autant que sur le dévouement dont elle lui a
donné tant de preuves.
- Elle monta, un matin, à latelier de ce séduisant égoïste, quelle trouva
dans un de ses jours dabattement et de désespérance. Les tracas
" planétaires " attendent lhomme au retour de ses excursions
dans les nuages. Si haut quil monte, laéronaute doit redescendre et
retrouver, en atterrissant, des fardeaux " plus lourds que
lair ". " Il lui faut suivre de nouveau sa route terrestre
cette route dont les ornières sont plus à craindre que les ouragans des espaces!
- Or, ce matinlà, Nadar faisait la moue à lhumanité et regrettait son
flottant royaume dosier, navigant dans léther à quatre mille pieds
audessus du niveau des échéances.
- Quastu? lui ditelle.
- Je vous dirais plutôt ce que je nai pas, madame Sand!
- Et ton livre, le droit au vol, il ne se vend donc pas?
- La troisième édition va paraître.
- Eh bien?
- Une goutte deau dans lOcéan!
- Cest juste! Mon Dieu! que pourraisje faire pour te tirer de là?
Estce quune préface de moi pour cette troisième édition?...
- Oh! madame Sand! fit Nadar, touché jusquaux larmes.
- Tu as raison, répliqua lexcellente créature, se méprenant sur
lexclamation de son interlocuteur, une préface de moi, à propos de ballon... cela
ne signifierait rien ; dailleurs, je ne vois goutte en cette matière...
- Chère et digne femme, sécria Nadar en lui prenant les mains, vous
navez pas compris que jaccueillais votre offre comme on accueille un bonheur
inespéré, un bonheur qui dépasse tout souhait, toute ambition...
- Trois jours après, elle remettait au capitaine du Géant les admirables pages
qui servent dentête à la troisième édition du Droit au vol...
- Je pourrais vous conter mille autres traits qui révèlent les belles qualités et les
délicatesses de son cur. Quil vous suffise de savoir que sur les sommes
énormes quelle a gagnées, elle a prélevé à peine de quoi vivre et de quoi payer
le petit domaine quelle habite. Avec le reste, elle a fait ou tâché de faire des
heureux autour delle.
- Elle nentend rien à la comptabilité et serait volée par ses fournisseurs, si
ces derniers ne répondaient à son inexpérience par une louable honnêteté. Elle régla
un jour, en présence de lun de mes amis, la note de son épicier que,
dhabitude, elle paye tous les mois. Le hasard fit quelle ne put lui verser
quune partie de son dû. Au lieu de retrancher cet àcompte du total, elle
ly ajouta ; si bien quelle se retrouva devoir, après la somme versée,
une somme plus considérable que celle quon lui réclamait ; elle pataugea dix
minutes dans ses chiffres, et lépicier dut luimême lui démontrer la
différence qui existe entre une addition et une soustraction... Mais revenons à
Nohant :
- Madame Sand se lève à onze heures : elle déjeune seule dun uf et
dune tasse de café noir sans sucre. Puis elle allume une de ces cigarettes de
maryland quelle achète toutes faites à Paris... car elle adore fumer et fume
constamment.
- Lorsque sa cigarette touche à sa fin, elle la jette dans un petit pot de vieux Gien
rempli deau, qui est placé sur sa table ; le petit phcit que fait
entendre, en tombant dans le liquide, le tabac incandescent, la réjouit au superlatif.
Disons en passant quelle interdit à ses hôtes lusage du cigare et de la
pipe.
- A ce frugal repas succède, si le temps le permet un tour de promenade dans son parc, ou
une partie de cochonnet jeu auquel elle excelle.
- A midi et demie, elle regagne sa chambre et se met à louvrage jusquà six
heures et demie, heure du dîner.
- Sur les menus de Nohant figure toujours le potage gras. Jamais de soupe maigre. Rarement
des viandes noires. Du poisson quelquefois. Ceux quelle préfère sont des
épinoches frits... Elle les prend ellemême à laide dune trouble à
papillons, dans le cours deau voisin... Elle affectionne particulièrement les
légumes et les fruits, les fruits surtout. Dans la saison, on sert, devant elle,
jusquà cinq variétés de fraises.
- Le dîner fini, madame Sand passe au salon, où elle joue au domino avec un ami, avec
son fils ou avec sa bellefille. Si elle a des visiteurs jentends par
là des connaissances nouvelles elle garde son attitude dimpératrice et
manque dabandon. Elle répond laconiquement aux questions qui lui sont adressées et
montre clairement quelle aime mieux entendre causer les autres que prendre part à
lentretien. Malheureusement ceux qui débarquent à Nohant pour la première fois
ignorent cette réserve basée sur une insurmontable timidité. Ils brûlent
détudier cette nature extraordinaire et cherchent à la faire jaser. Ils perdent
leur temps.
- On parle : madame Sand écoute. On se tait, elle écoute encore, ou plutôt elle
semble écouter, car, dès vos premières paroles, sa fougueuse imagination la
emportée loin de vous et loin dellemême. Si, par exemple, voulant asseoir la
conversation sur un de ses thèmes favoris, vous lui exposez un système de géologie, sa
pensée semparera des prémisses que vous lui aurez posées, vous quittera
brusquement en ayant lair de vous suivre, et préférera les caprices de son génie
inventif au développement rationnel des inductions les plus saines.
- Cest au moral lhistoire de ce touriste anglais auquel on
montrait les écuries dun prince... Il enfourcha le premier cheval qui lui fût
désigné et se sauva au travers des champs, tandis que son cicerone
- continuait patiemment à crier le nom et à vanter les vertus des autres quadrupèdes.
- Cette tendance à ségarer dans le domaine de la fiction a légèrement faussé
les notions scientifiques de madame Sand. Incapable, de par sa nature même,
détudier une science à fond, elle a, en histoire, comme en géologie, comme en
médecine, comme en botanique, des opinions à elle, opinions qui résultent de ses
déductions fantaisistes et des écarts que lui suggère sa merveilleuse aptitude à voir
en toutes choses ce qui ny est pas.
- Elle casse, un soir, une géode quelle avait ramassée dans la journée. Après
lavoir considérée longuement à la loupe :
- Voilà qui est étrange! sécriatelle à haute voix. Les parois
qui tapissent la caverne de cette pierre retracent parfaitement une scène
antédiluvienne. Voyez, voilà lEden. Ici des arbres dont lespèce est
perdue ; là, des animaux étranges ; et plus loin, dans cette petite
excavation, un homme et une femme, vêtus de peaux de bêtes... Estce assez curieux!
- Un naturaliste auquel elle confiait volontiers ses visions extravagantes, disait à un
tiers :
- Elle ressemble à un savant qui aurait pris du hatchich!
- Les soirées de Nohant ne sont pas toujours consacrées à ce genre de délassement. Si
lon est entre intimes, madame Sand aime à jouer aux jeux innocents, à des jeux qui
font remuer les autres.
- Si quelquun fait une maladresse ou tombe bêtement, elle est enchantée.
- Parfois elle range ses herbiers tandis quon discute à ses côtés un événement
littéraire ou un fait politique. Il lui arrive aussi de faire une lecture.
- Elle tenait un soir la Revue des DeuxMonde et lisait à haute voix une
nouvelle de je ne sais plus qui. Laction développée en un style élégant et clair
était vive et intéressante. Un incident la força de sortir. Un assistant prit la
brochure et continua... Quelle ne fut pas sa surprise, en sapercevant que la
lectrice parcourait de lil deux ou trois phrases à lavance, en
redressait les incorrections, leur donnait un tour magistral, et créait à
linsu de lauditoire des incidents auxquels lauteur navait
pas songé. Cette rapidité de conception et délocution vient corroborer la
faculté inventive que je mentionnais tout à lheure.
- A minuit (eûtelle le pape chez elle, et madame Sand ne le recevrait pas,
car elle prétrophobe) à minuit, elle rentre chez elle. Son premier soin est de
procéder à une toilette de nuit. Puis elle se met à écrire sans débrider
jusquà six heures du matin. Atelle fini son roman à deux heures? elle
en commence un autre plutôt que de se mettre au lit.
- Elle travaille sans aucun plan. Il lui suffit dun point de départ, dune
situation quelle développe au fur et à mesure, en vertu dune sorte de
déduction arbitraire, qui est souvent très artistique, mais où la logique nentre
pour rien. Parfois, ce procédé la conduit à limpossible : plus
dissue! ça naboutit nulle part!... Alors, sans regret, sans ennui, elle en
reste là et recommence autre chose.
- Elle est très méthodique pour la partie matérielle de son travail. Elle écrit sur du
papier à lettres, cousu en cahiers de dix pages. Sous chaque page, elle place un
transparent, et tous ses feuillets contiennent le même nombre de lignes, qui, chacune,
contiennent le même nombre de lettres ; en sorte que chaque cahier plein renferme
presque absolument la même quantité de matière imprimable. Pourquoi? Par habitude. Et
puis, cest plus facile pour compter : tant de cahiers de sa main font le
minimun dun volume. Tant quelle na pas quatre cent mille lettres, le
roman continue. Ce chiffre atteint, elle songe au dénouement.
- Ces cahiers, tous de même grandeur, vont aux compositeurs, qui les respectent, puis
sont rendus à madame Sand. On les fait relier et son fils les serre précieusement.
- Une remarque ou plutôt un contraste à propos de ses livres. Toutes ses héroïnes sont
mâles, énergiques, de haute raison, tandis quelle est dune faiblesse
telle quun enfant de quatre ans lui imposerait sa volonté. On sent quelle
envie la supériorité dont elle dote ses types féminins et quelle les dépeint
comme elle voudrait être. Cependant, sur certains points sociaux, si elle a fait ses
romans, ses romans lont faite ; elle croit que ce quelle a écrit est
arrivé. De là ses idées bizarres, jusquau comique, dans la pratique.
- Jai omis daccuser son goût passionné pour la musique, la vieille musique
surtout... Les partitions modernes la laissent froide. Elle raffole de Mozart et donnerait
tout le répertoire de Verdi pour un menuet du temps jadis. Ajoutons quelle est
marieuse et rumine toujours lhymen de ses chers sandistes. Malheureusement, les
mariages quelle rêve sont impossibles.
- Les rapprochements quelle médite se distinguent par linégalité des
conditions. Elle proposera volontiers à un menuisier dépouser une princesse, et
décidera lunion dun roi avec une gardeuse de dindons. Aussi
échouetelle dans ses entreprises matrimoniales, et cest la plume à la
main seulement quelle mène à bien ses accouplements disparates.
- On a beaucoup écrit sur le théâtre de Nohant, mais je ne sache pas quon ait
parlé de létiquette qui préside à ces charmantes représentations. Bien que les
sociétaires de la comédie de Nohant soient en bois et en carton, le règlement exige
quon paraisse au spectacle toujours et quand même en grande toilette.
- Madame Sand sy rend, fûtelle seule à composer le public,
avec ses plus beaux atours et ses plus belles parures.
- Dans la journée durant les heures quelle ne consacre pas au travail,
elle confectionne les costumes de ses pupazzi. Lhabit noir et la cravate
blanche du fantocherégisseur, M. Ballandard, ont été cousus par ses propres
mains.
- La salle est souvent garnie du parterre au cintre. A loccasion de ces
soiréesgala on répand des invitations dans les environs. Des omnibus loués à la
Châtre vont prendre les invités à domicile, les amènent à Nohant et les reconduisent,
sans quil leur en coûte rien, à la fin de la soirée. On rehausse la solennité de
ces fêtes en jouant des proverbes et des pièces inédites de madame Sand ou des auteurs
dramatiques qui la fréquentent. Ces primeurs sont généralement interprétées par des
acteurs pour de vrai. Les poupées cèdent la place aux hôtes de la maison qui,
rendonsleur cette justice, apportent au service de leur mandat toute
leur intelligence et toute leur bonne volonté.
- Il y a quatre ans encore, madame Sand avait pour femme de chambre et intendante une
jeune fille du crû qui, dès ses premières tentatives, manifesta pour la scène des
dispositions étonnantes. Marie rendait les soubrettes dune façon remarquable.
Aussi, Marie était lenfant gâtée du château. Elle paraissait au salon tous les
soirs, quelque fussent la qualité et le nombre de ceux qui sy trouvaient.
- Mademoiselle Marie nétait pas seule à jouir de cette faveur. Un chienbull,
nommé Fadet, partageait avec elle la permission de paraître au même lieu, _ voire dans
les grandes occasions.
- Fadet est, dailleurs, un toutou dune intelligence hors lignes. Dès
quon arrive à Nohant, Fadet vous fait les honneurs du logis : il vous mène
partout, dans le verger, dans le parc et dans les bâtiments, depuis les caves
jusquaux mansardes. Quand il a fini de vous promener dans les moindres recoins de la
propriété, il vous quitte brusquement, et vous resteriez dix ans au château quil
ne ferait pas plus attention à votre personne que si vous nexistiez pas. Ce
cicerone à quatre pattes existe encore à lheure où je chante ses vertus, et
continue à guider les nouveaux venus dans les méandres de la résidence. Quant à Marie,
elle a quitté le château, voilà plusieurs années, pour des causes que jignore.
- Madame Sand franchit rarement la limite de son domaine. Elle va à la Châtre deux ou
trois fois par an. Elle a sa loge au théâtre de la ville , et, quand elle doit honorer
la représentation de sa présence, le souspréfet et le maire passent au second
rang. On ne commence pas avant quelle ne soit arrivée, et le public ne songe pas à
se plaindre, si daventure elle se fait attendre. Dès quelle paraît, un
gamin, posé au point de la galerie le plus proche de la toile, se penche, en écarte le
pan, et crie aux acteurs avec laccent berrichon : " Alle y
est! "
- Aussitôt retentissent les trois coups et le chef dorchestre donne le signal de
louverture : on nen use pas autrement avec les souveraines.
- Telle est, à quelques détails près, la vie privée de cette femme de génie. Si on la
considère dans son ensemble, on en tire ce profitable enseignement que, si élevé
quil soit, le talent nexclut ni la modestie, ni la simplicité, et quon
peut donner à la fois les marques des plus hautes aptitudes et des plus naïves manies,
sans cesser pour cela daffirmer un gand cur et une grande âme.
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