Extrait de la préface de Jean-Paul Bouchon.
Né à Lyon en 1673, fils dun conseiller au présidial, François Gayot de Pitaval
na guère eu de chance dans les différents états quil a tenus sur cette
terre. Destiné par son père à lÉglise, il a rapidement quitté le petit collet
pour lArmée quil estimait plus conforme à ses capacités. Ayant constaté
par lusage que tel nétait manifestement le cas, il sest alors dirigé
vers le Barreau avec ces paroles mémorables: " Erigeons-nous en avocat, la
noblesse de cette profession sympathisera avec celle de notre naissance. Mais il faut
avoir une bibliothèque dans la tête, et jai de lignorance à
fond. " Comme lavait subodoré son auteur, cette métamorphose ne devait
pas être la dernière. En effet quelque temps plus tard il devenait écrivain à gages
pour le compte des libraires du temps et à ce titre déversait annuellement sur la tête
du public volume sur volume, sous les hurlements des critiques, mais à la satisfaction de
ses lecteurs et de ses éditeurs puisquils en redemandèrent, la bibliographie de
Gayot de Pitaval étant longue et diverse. A défaut de la reconnaissance des lettrés, il
avait enfin trouvé sa voie, très en deçà de ses ambitions successives, celle dun
polygraphe besogneux mais lu, ce qui à tout prendre est bien lessentiel en ce
domaine.
Un titre, qui est également un titre de gloire, surnage de cette copieuse production.
Il sagit des Causes célèbres et intéressantes avec les jugements des Cours
Souveraines qui les ont décidés, publiées de 1734 à 1743 en vingt volumes in-12. Gayot
de Pitaval est en effet linventeur de la formule des recueils de Causes célèbres.
Et cest donc de lui que découlent dune manière ou dune autre ces
Crime-stories, ces Histoires extraordinaires, Nouvelles Histoires extraordinaires,
Assassins diaboliques et autres qui font le bonheur de leurs éditeurs et bien entendu de
leurs lecteurs. Il était cependant écrit que dans tous ses emplois, et même les plus
innovants, Gayot de Pitaval ne connaîtrait pas les lauriers quil estimait en droit
de se voir décerner et que pour lui lamertume serait paradoxalement toujours la
soeur du succès.
Dès la parution de son recueil on ne lui reconnaît en effet dautres mérites que
den avoir eu lidée et den avoir rassemblé les matériaux. Pour le
reste les accusations se suivent et se ressemblent, à travers les siècles. Des
matériaux certes, mais pas de méthode, pas de plan, pas de style, des propos incongrus
aux moments les plus inattendus...
La lecture de son recueil (deux de ses histoires ont été rééditées en 1987 par les
éditions du Cherche-lune à Vendôme sous le titre Nous, Urbain Grandier, Martin Guerre,
condamnés, exécutés, avec une préface de Frédéric Pottecher), confirme
malheureusement ce jugement.
Ces imperfections - et les carences de lépoque en matière de droit dauteur
- devaient donner à François Richer, avocat et polygraphe lui aussi ( 1718-1790 ),
lidée de reprendre et daméliorer le grand oeuvre de Gayot de Pitaval.
Cest ainsi que sous la signature de Richer, et à lenseigne de Michel Rhey, à
Amsterdam ( en fait Paris ), parurent à partir de 1772 et jusquen 1788 les
vingt-deux volumes in-12 des Causes célèbres et intéressantes, avec les jugements qui
les ont décidées, rédigées de nouveau par M. Richer, ancien Avocat au Parlement.
Richer ne faisait certes pas dans la dentelle lorsquil présentait son propos et
loeuvre de son prédécesseur. " Peu douvrages ont eu plus de
vogue... peu douvrages aussi ont été plus censurés. Tout le monde a lu celui-ci
et tout le monde sest plaint que lauteur ny avait suivi aucune méthode
; que les faits y sont jetés sans ordre ; quils y sont noyés dans un tas de
réflexions triviales ; quon est enfin réduit le plus souvent à la peine de les
deviner... Je ne finirais, si je voulais faire la liste de tous les reproches qua
éprouvés, et quéprouve encore journellement ce livre ". Et Richer
dexpliquer sa méthode : " Jai osé entreprendre
de lui donner une nouvelle forme. Jai essayé de tirer les faits du chaos... Au
reste, jai fait main-basse sur tout ce qui, dans cette collection, était du cru de
M. Gayot. Jose dire que cet écrivain navait, ni goût, ni critique, ni
philosophie, il ne pouvait donc rien produire de lui-même qui ne fût au- dessous du
médiocre " ( tome 1, avertissement sur cette nouvelle édition ).
Le succès de louvrage et les notices biographiques et bibliographiques qui le
concernent lui ont donné raison. Et il est de fait exact, à le lire après Gayot,
quil a bien les qualités dont il se targue : clarté, élégance et concision, et
que les histoires quil a mis ou remis en forme ( certaines sont exclusivement de son
fond ) ont une force que na pas la version originale de Gayot, qui bat
généralement la campagne avant de ramener ses gerbes. Bref un rewriter de talent à
telle enseigne que Richer, qui a copié sur son voisin puis la insulté fait figure
dexcellent sujet dans les palmarès littéraires.