- XXXI. LA CHASSE AUX FANTOMES
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- L’échec des plantes industrielles
ne découragea pas les savants du Grand Laboratoire Central, dont
l’ambition était insatiable. Ils s’efforcèrent seulement de
diriger leurs recherches d’une façon plus habile et de s’adresser,
non plus aux êtres inférieurs, mais aux animaux supérieurs pour
réaliser la capture tant souhaitée de l’inimitable Vie.
- Déjà les recherches concernant la
quatrième dimension semblait prouver que les différents corps
des êtres vivants se composaient de trois dimensions extérieures
et d’une sorte de quatrième dimension complétant leur
structure intime. C’était, en somme, la seule justification
possible que l’on pouvait donner de l’irréductible différence
que l’on observait depuis les premiers âges du monde entre les
objets inanimés et les êtres vivants.
- Cette quatrième dimension s’était
révélée à l’humanité, depuis ses premiers balbutiements,
par le fonctionnement de l’intelligence. Elle s’était
révélée aussi lors des premières recherches hypnotiques effectuées
aux temps barbares. A cette époque lointaine, on avait déjà
constaté le dédoublement de la personnalité ; on avait
enregistré de curieux phénomènes dus à la création du double
fantomatique qui émanait du sujet hypnotisé, se tenant à ses
côtés, relié à lui par un simple cordon de matière
impondérable.
- On avait même remarqué, dès le
début, que, lors de ces dédoublements, le sujet hypnotisé, ne
raisonnant plus qu’à trois dimensions, devenait absolument
inintelligent, tandis que tous les phénomènes de conscience se
localisaient dans le double, représentant la quatrième
dimension.
- Sans doute, avec les progrès de la
science, avait-on remis les fantômes à leur véritable place. Ce
n’était plus, comme on le croyait jadis, des êtres
malfaisants, extra-terrestres et mystérieux, mais de simples
émanations de personnes vivantes, faisant partie de leur
personnalité et par conséquent soumises à leur initiative ou à
leur subconscient.
- Quelques observations habilement
faites, dès le début, avaient prouvé qu’en ces matières les
animaux, doués avant tout d’instinct, se montraient plus
clairvoyants que les hommes intelligents, et que ces
manifestations très simples de dédoublement leur étaient plus
facilement sensibles qu’à leurs maîtres.
- On citait même l’anecdote de
cette dame clairvoyante qui, se promenant dans la campagne avec
une amie qui n’était point douée de seconde vue, avait
déclaré qu’elle voyait un fantôme de chien marcher devant
elles. On avait mis sa parole en doute, jusqu’au moment où,
passant devant une ferme, on avait vu un chat sortir de la grange,
se disposer à franchir la route libre et s’arrêter brusquement
au moment où il avait rencontré le fantôme du chien qui venait
en travers de son chemin. Brusquement, il s’était hérissé,
avait sorti ses griffes, soufflé bruyamment, et, affolé, était
rentré à toute vitesse dans la grange d’où il sortait.
- Ainsi donc, les animaux, mieux que
les hommes, discernaient parfaitement les émanations fantomnales
éparses dans l’univers.
- Du jour où l’on comprit toute l’utilité
qu’il y avait pour les usines nouvelles à s’approprier ce fluide
vital perdu ici et là sous la forme de fantômes inutiles, on s’avisa
de recourir aux animaux pour traquer et pour capter ces forces
errantes.
- Au lieu de laisser les fantômes effrayer
inutilement des esprits timorés, au lieu de leur permettre de
renverser les meubles, de hanter des maisons ou des châteaux
abandonnés, en se livrant à toutes sortes de travaux absurdes,
on s’efforça de les capter pour mettre leurs forces vitales au
service de la science. On dressa, un peu partout, des pièges
spéciaux à trois dimensions, contenant, pour amorce, un germe
vital à quatre dimensions et l’on se servit de nombreux chiens
clairvoyants, analogues aux chiens de chasse d’autrefois, pour
rabattre les fantômes vers ces pièges.
- Ce fut alors une battue émouvante,
parfois même terrifiante, et qui dura pendant plusieurs mois. Petit
à petit, tous les fantômes, hurlant, désespérés, furent captés
dans les ateliers publics, enfermés dans des machines imitant,
grossièrement mais suYsamment, les différents organes du corps
humain. Tout d’abord, on s’imagina que la vie était définitivement
soumise aux ordres de la science et que les fantômes emprisonnés
seraient contraints d’animer les machines à trois dimensions où
on les enfermait comme dans des cages de chair, mais peu à peu, il
fallut bien constater l’échec définitif de cette nouvelle
tentative. Les fantômes emprisonnés n’agissaient plus ; ils ne
produisaient aucun travail utile ; ils ne pouvaient vivre qu’en
toute indépendance. Il leur fallait, pour agir, la fantaisie et la
liberté des âges disparus. Emanant d’individualités
exceptionnelles ils ne pouvaient se plier à une discipline sociale.
Fils de l’imagination et non de la science, ils échappaient à l’ordre
et au raisonnement ; artistes du rêve durant des siècles,
indiquant aux humains le possible en dehors du temps et de l’espace,
les fantômes ne pouvaient être des artisans du réel. On se borna
donc à les emprisonner à tout jamais dans des corps simples, et la
vie industrielle, débarrassée de ces éléments de trouble,
poursuivit avec calme ses recherches nouvelles vers l’inconnu
rationnel.
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